Sur les hauteurs de Bastelica se trouve un aménagement original que le promeneur peut découvrir aisément. Il s’agit du canal d’irrigation de Bastelica, qui utilise l’eau dérivée de l’Ajara en partant des cascades de l’Ortolo près de la punta a u Picchiu et de la punta Piaggiola. Ce qui est considéré aujourd’hui comme un lieu de promenade est un ouvrage d’art construit il y a 150 ans sur une longueur de 3 600 mètres pour l’irrigation des cultures et l’approvisionnement des fontaines pendant les périodes de sècheresse.
Dès les années 1860, la municipalité dirigée par Valère Folacci, maire, fait engager une étude par les ponts et chaussées pour la réalisation d’un ouvrage d’irrigation en réalisant la dérivation des eaux de l’Ajara. Cet ouvrage permettra « l’arrosage des jardins et enclos, mais aussi (servira) pour l’alimentation de nos fontaines, lesquelles aux mois d’août septembre et octobre ne donnent pas assez d’eau pour les besoins des habitants ainsi que l’abreuvoir des chevaux. » L’étude menée par le service hydraulique est terminée fin 1868 et le maire peut présenter aux élus municipaux le rapport du 13 janvier 1869 de l’ingénieur en chef des ponts et chaussées qui constate que : « le canal pourra débiter 200 litres par seconde et arroser 140 hectares de terrain sur le versant où est situé Bastelica ; que plus tard en construisant sur la crête des réservoirs on pourra utiliser ces eaux à l’arrosage de 150 hectares sur le versant opposé au village et la dépense a été calculée à 16 500 francs. » Le conseil municipal délibère le 18 avril 1869 et adopte le principe de la construction du canal. La commune étant engagées dans de fortes dépenses pour la construction de la nouvelle église, elle doit recourir à l’emprunt. L’adjudication est fixée au 21 août 1871 pour un montant total de 17 160,00 Francs dont 13 105,63 Francs pour les travaux auxquels s’ajoutent 3 394,35 Francs pour achat de chaux hydraulique et dépenses imprévues et 660,00 Francs d’honoraires dus aux ingénieurs et agents qui ont rédigé le projet et surveilleront les travaux.
Affiche de l’adjudication du 21 août 1871
Un état signé le 30 juillet 1871 mentionne les vingt-six propriétaires qui s’engagent à céder gratuitement le terrain nécessaire à l’assiette du canal de l’Ajara et une délibération du conseil municipal du 11 octobre 1875 institue une commission chargée de la gestion du canal sur la base d’un règlement tarifaire établi en fonction des superficies des adhérents. Cette commission qui est assistée de M. Perrie, contrôleur principal des contributions, dans les opérations relatives au règlement et à la répartition des eaux du canal d’irrigation de l’Ajara, va décider : « 1° : que le susdit canal, serait divisé en trois sections distinctes ou vannes, dont la première en commençant par le Nord-Est prendrait le nom de Fontanelli : la seconde, en descendant le cours d’eau celui de Mandaccia : la troisième et dernière celui de Piggioletto ; « 2° : que les eaux du canal seront réparties entre ces trois vannes en raison de la contenance des terrains arrosables et arrosées qu’il sera reconnu que chacune de ces vannes et toujours en raison de sa contenance pendant une durée de temps qui sera, ultérieurement, déterminée par un arrêté municipal ; « 3° : que les terrains arrosés ou susceptibles d’arrosage par le canal seront rangés en deux catégories distinctes : que la première catégorie comprendra tous les terrains qui ont droit à la jouissance de l’eau du canal, pendant toute l’année, sans interruption : que la seconde catégorie ne se composera, au contraire, que des terrains auxquels on pourra accorder l’eau du canal ; depuis le premier janvier jusqu’au 30 juin de chaque année. » Le règlement tarifaire est de 30 Francs l’hectare pour la 1ère catégorie et 20 Francs l’hectare pour la 2 ème catégorie. En 1882, les recettes du canal s’élèvent à 1 537 Francs et les dépenses d’entretien sont de 118 Francs. Le canal mérite des soins réguliers et en février 1883, le cantonnier du canal ayant constaté que l’ouvrage est en mauvais état, le maire Berfini fait voter par le conseil municipal la somme de 500 Francs pour sa réparation. Dans les années 1920, la commune doit engager d’importants travaux de remise en état des ouvrages. Une première tranche pour remédier aux désordres constatés sur certaines parties est réalisée entre 1926 et 1929. L’ensemble de l’ouvrage est alors en bon état.
Plan dressé à l’occasion des travaux de 1926
Description des vannes, dossier des travaux de 1926
Une affichette conservée dans les archives de Bastelica donne le schéma de répartition en vigueur voici une centaine d’années : « Distribution des eaux d’arrosage tributaires du ravin de Fontana bianca et Fontana vecchia. « Ces eaux sont distribuées à tous les jardins qui en dépendent par cycles de 8 jours et de la façon suivante : 1 ère prise (Stazzona) – trois jours : du 3 août à 0 heure jusqu’au 5 août à minuit. 4 ème prise (Fontana vecchia) – L’eau qui surgit en aval de la 1ère prise pendant les mêmes trois jours (du 3 août 0 heure jusqu’au 5 août à minuit). 2 ème prise (Valle) – deux jours : du 6 août à 0 heure jusqu’au 7 août à minuit. 3 ème prise (Pratalello) – trois jours : du 8 août à 0 heure jusqu’au 10 août à minuit.
« Dans l’intérêt de tous les usagers, il convient de s’astreindre à un ordre rigoureux : l’eau passe du jardin le plus rapproché du ravin, au 2ème, puis au 3 ème et ainsi de suite jusqu’au dernier ou vice-versa. Par ce moyen, on gagne du temps et on évite la circulation inutile de l’eau dans les rigoles. » A la fin des années 1940, la commune doit encore engager d’importants travaux de remise en état des ouvrages et une campagne de travaux est menée en 1956.
Aujourd’hui, la vocation de ce bel ouvrage a disparu mais son attrait permet à de nombreux visiteurs de découvrir la belle nature des lieux.
Pierre Claude Giansily Historien de l’art
Crédits photographiques © Claude Giansily et DR Sources : Archives de Corse, Ajaccio, série O et Archives communales de Bastelica, série 1 O/4/2, Canal de l’Ajara.